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Notes sur l'Histoire de la Pensée Chinoise

Voici quelques notes prises librement au cours de ma lecture estivale de l'indispensable ouvrage d'Anne Cheng, paru en 1997.

Histoire de la pensée chinoise : le shen

"Le terme de shen 神, qui désigne à l'origine le divin ou le spirituel, en vient [...] à évoquer l'esprit lorsqu'il est au comble de la vie, de la spontanéité, du naturel, et qu'il se meut sans aucune entrave, celle que pourrait représenter tout effort de réflexion, de conceptualisation ou de mise en forme. Le mouvement du shen n'est cependant pas celui de l'inconscience, et encore moins de l'inconscient, mais celui de l'oubli de la conscience. Cela ne saurait se décrire par des mots : seule peut l'évoquer la perfection fulgurante du geste qui, à force de pratique et d'affinement, n'est plus conscient."

histoire de la pensée chinoise : livre des mutations

 

L'Histoire de la Pensée Chinoise d'Anne Cheng consacre un chapitre complet au Livre des Mutations (易经 ou 周易), texte essentiel s'il en est. L'une des notions importantes qui y est discutée est l"infime amorce" (幾) :
Le Maître (Confucius) dit : "Connaître l'infime amorce (ji 幾) ne tient-il pas de l'esprit à son comble (shen 神) ? L'homme de bien ne flatte pas ses supérieurs, pas plus qu'il ne rudoie ses inférieurs : c'est qu'il connaît l'amorce infime. L'infime, c'est l'imperceptible commencement du mouvement, le tout premier signe visible du faste [ou du néfaste]. L'homme de bien, dès qu'il voit l'infime, passe à l'action, sans attendre la fin de la journée."
Cette capacité est notamment développée par le pratiquant de taijiquan à travers le tuishou ...

histoire de la pensée chinoise : faîte suprême

Extrait de l'Explication du Diagramme du Faîte Suprême (太极图说), rédigée par Zhou Dunyi (周敦颐) au début des Song (960-1279), en pleine renaissance confucéenne :
"Sans Faîte et pourtant Faîte Suprême ! Le Faîte suprême dans le mouvement donne naissance au Yang, le mouvement parvenu à son comble devient quiétude, dans la quiétude prend naissance le Yin, la quiétude parvenue à son comble fait retour au mouvement. Mouvement et quiétude alternent, prenant racine l'un dans l'autre."

histoire de la pensée chinoise : interne-externe

Dans son Histoire de la Pensée Chinoise, Anne Cheng décrit Huang Zongxi 黃宗羲 (1610-1695) comme l'un des trois grands confucéens du début des Qing. Ce qu'elle ne précise pas, c'est qu'il s'agit aussi de l'auteur du fameux épitaphe pour Wang Zhengnan (en 1669), dans lequel figure pour la première fois l'opposition entre arts martiaux externes et internes. D'après l'historien Stanley Henning, celle-ci n'est en fait qu'une critique anti-mandchoue en des termes déguisés, les arts externes, jugés inférieurs, étant associés au bouddhisme originaire d'Inde et symbolisant les envahisseurs étrangers, tandis que les arts internes, vus comme supérieurs, étant rattachés au taoïsme spécifiquement chinois et plus précisément à l'ermite légendaire Zhan Sanfeng. L'attribution de la création du taijiquan par ce dernier n'apparaîtra que bien plus tard (vers 1912) en réaction au mythe de Bodhidharma concernant la boxe de Shaolin.

histoire de la pensée chinoise : constitution et fonction

L'histoire de la pensée chinoise a été traversée par des discussions fructueuses sur le couple appariant aspect constitutif (ti 体) et aspect fonctionnel (yong 用) pour décrire la réalité. Une transposition de cette notion semble tout à fait possible dans le domaine des arts martiaux, où certaines qualités cachées sont indispensables pour espérer une efficacité. L'image traditionnelle est celle mettant en relation racines et branches. En pratique, la constitution comprendrait un ensemble de capacités motrices, sensorielles et mentales acquises grâce à des exercices fondamentaux, au travail des enchaînements et à la compréhension des principes essentiels tandis que la fonction consisterait à interagir avec partenaires ou adversaires. Réfléchir à ce couple permet d'attirer l'attention sur l'importance d'aspects invisibles aux yeux des profanes mais souligne aussi que constitution et fonction ne sont pas si séparés l'un de l'autre que l'on pourrait le croire. Pour reprendre des termes d'Anne Cheng, notre construction à la fois provient de notre expérience et détermine celle-ci.

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