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Force enroulée comme de la soie - 缠丝劲

Article initialement publié dans le no2 du magazine mARTial en 2014

 

La force enroulée comme de la soie du style Chén

 

Au sein du style Chén, l'importance donnée au chánsī jìng, ou force enroulée comme de la soie, est telle que Me Chén Zhàokuí n’hésitait pas à l'assimiler totalement au Chén jìn. On peut l'appréhender, au moins intellectuellement, par un système de cercles multidirectionnels et connectés les uns aux autres. Chaque partie du corps se meut en suivant ces chemins, parfois à peine visibles, toujours continus ; leur origine commune est la rotation de l'abdomen. Cet article s'intéresse à certains aspects techniques du chánsī jìn à travers les notions de rotations, de vrilles, et de replis.

 

Rotations

On distingue habituellement deux types de rotations liées au chánsī jìn (缠丝劲) : shùn chán (顺缠) et nì chán (逆缠). Leurs définitions précises ne sont cependant pas exemptes d'ambiguïtés. La première sera parfois qualifiée de centripète, d'intérieure, ou de naturelle. Pour les bras, son mouvement sera guidé par le petit doigt (supination) et servira souvent à conduire la force de l'adversaire en l'absorbant, ce qui implique généralement une fermeture du corps (hé, 合). Au contraire, la seconde sera volontiers désignée comme centrifuge, extérieure, ou inverse. Mené par le pouce (pronation), le corps étant engagé dans une phase d'ouverture (kāi, 开), le mouvement cherchera à éloigner voire repousser l'adversaire. Du point de vue anatomique, shùn chán correspondra à une abduction de l'épaule combinée à une rotation externe du bras par rapport à l'omoplate, tandis que nì chán associera adduction et rotation interne. Des principes analogues existent pour les jambes.

 

Dans les enchaînements classiques du style Chén, le mouvement « mouvoir les mains comme les nuages » (yún shǒu, 云手), utilise simultanément ces deux rotations, la main descendante étant guidée par le petit doigt et la main ascendante par le pouce. Les gestes des bras sont lents, continus, et entraînés par le mouvement de la taille.

 

A d'autres moments, shùn chán et nì chán peuvent se manifester plus rapidement et céder finalement la place à une émission de force (fājìn, 发劲). Par exemple, les deux bras décrivent ensemble une trajectoire circulaire dans le sens des aiguilles d'une montre, partant du bas du cadran et réalisant un tour complet, pour évoluer subitement en poussée rectiligne et descendante (voir photographie de Me Yáng Wénhù ci-dessous).

 

Bien identifier les phases d'enroulement shùn chán et nì chán au sein d'un mouvement permet non seulement de préciser le geste mais surtout d'aiguiser l'intention. Elles constituent le b.a.-ba du chánsī jìn.

 

Spirales et hélices

La notion de spirale revient fréquemment dans les explications illustrant les mouvements du tàijíquán, en particulier du style Chén. En chinois, le terme correspondant est luóxuán (螺旋). Il a pour signification la spirale, l’hélice ou la vis.

 

Rappelons cependant que si la spirale est une figure plane, l’hélice se conçoit en trois dimensions (lì tǐ, 立体), étant inscrite sur un cylindre ; elle résulte de la combinaison d’un mouvement de translation et de rotation. Si le sens de l’angle de rotation de l’axe vers la tangente suit celui des aiguilles d’une montre, on parlera d’hélice droite (voir figure ci-contre), et inversement pour l’hélice gauche. Notons que pour décrire un mouvement, plutôt que de le qualifier d’hélicoïdal, on préférera souvent le qualifier de vrillé.

 

Comment ces notions se transposent-elles dans la théorie du tàijíquán ? Tout d’abord, observons que le terme de vrille est souvent accolé à ceux de chánsī jìn. On peut ainsi trouver l’expression « luóxuán chánsī (螺旋缠丝) ». Les vrilles sont en effet plus rares dans les mouvements rectilignes, rapides, et secs, propres aux fājìn, l’autre manifestation caractéristique du style Chén.

 

En pratique, quelles sont les fonctions de la vrille ? Sur le plan prophylactique, ce type de mouvements s’apparente à un véritable essorage (notamment des bras et des jambes), d’où des effets régénérateurs sur un corps souvent délaissé dans la vie quotidienne. L’impact est aussi important sur la stabilité des postures, qui bénéficie de vissages « dans le sol » opérés par les membres inférieurs. Pour prendre un exemple, la posture finale du quatrième mouvement de l’enchaînement de base du style Chén, « attacher le pan du vêtement avec indolence » (lǎn zā yī, 懒扎衣), utilise des vissages simultanés de la jambe arrière et de la jambe avant. La combinaison d’un mouvement de translation et de rotation accroît aussi l’efficacité des techniques de tirer en parvenant à vaincre plus aisément la résistance de l’adversaire, qui se trouve comme aspirer dans un tourbillon. Une bonne illustration de ce principe se retrouve dans le cinquième mouvement de l’enchaînement, « six verrouillages et quatre fermetures » (liù fēng sì bì, 六封四闭). Un autre exemple, où le corps dans son entier s’inscrit dans une hélice, est fourni par le début du sixième mouvement, « simple fouet » (dān biān, 单鞭). Une application possible de ce mouvement est un contrôle articulaire du poignet gauche de l’adversaire en emprisonnant son coude. Ce qínná (擒拿) est favorisé par un enracinement du corps en relâchant le kuà (胯) droit.

 

Les techniques spiralées présentent donc, outre un intérêt esthétique, de réels avantages en termes de longévité et d’efficacité martiale. Elles représentent, si ce n’est une transmission secrète (mìchuán, 秘传), du moins un trésor du style Chén.

 

Plis et replis

L'une des contributions notables de Me Chén Zhàokuí au style Chén réside dans la technique de zhédié (折叠), terme désignant dans la vie courante la capacité à se plier (par ex. pour une chaise pliante). Dans le contexte martial, il s'agit plutôt de détours, de sinuosités, empruntés par le corps pour exécuter une technique. Le zhédié constitue une pratique avancée qui se superpose aux mouvements de vrille présentés précédemment.

 

Bien que le zhédié se manifeste principalement dans les mains, son origine se situe dans la poitrine et la taille. On parle ainsi de xiōng yāo zhédié (胸腰折叠). Un exemple illustrant parfaitement ceci se trouve dans le quatrième mouvement de l'enchaînement xīn jià yī lù (新架一路), « six verrouillages et quatre fermetures (liù fēng sì bì, 六封四闭) ». A partir de la posture lǎn zā yī (揽扎衣), le mouvement se décompose de cette façon : zhé (折), hé (合), péng (掤), lǔ (捋), kāi (开), tuī (推), c'est-à-dire plier, fermer, déraciner, tirer, ouvrir, pousser. Une condition essentielle pour la bonne exécution de ce mouvement est d'avoir les poignets relâchés (sōng wàn, 松 腕). Le pli et le relâchement du poignet trouvent d'ailleurs une application martiale originale et efficace dans la réponse au qínná démontré sur la photo ci-contre. Néanmoins, cette technique de transformation (huà fǎ, 化法) ne fonctionne que si la poitrine est, elle aussi, relâchée.

 

Le zhédié est également présent dans certains changements de direction. Ainsi, dans le deuxième mouvement de l'enchaînement, « le gardien céleste pile le mortier (jīn gāng dǎo duì, 金刚捣碓) », après le déploiement latéral du pied gauche vers l'avant, le corps étant encore de profil, le changement de direction vers l'avant se produit au moyen d'un repli complexe qui naît de la taille, se manifeste dans le genou droit dans un plan horizontal, tout en s'accompagnant d'un mouvement circulaire des bras dans un plan sagittal. Ce repli n'est pas un simple embellissement mais peut constituer une feinte destinée à attirer l'adversaire dans un vide avant de contre-attaquer.

 

Ces plis et replis ne doivent donc pas être perçus comme des arabesques contribuant à la beauté du style. Leur fonction est multiple : développer la flexibilité du corps, répondre à des actions par des transformations, changer subitement de direction en surprenant l'adversaire.

 

Une tentative de description succincte du chánsī jìn a été présentée à travers les notions de rotations, de vrilles, et de replis. Pour être complet, il faudrait encore évoquer son utilisation dans les stratégies d'attaque et de défense, où sa présence dépend d'abord de la capacité à adhérer, coller, lier, et suivre (zhān nián lián suí, 沾粘连随 ), puis à se livrer à un jeu de transformations où chaque partie du corps (de la main jusqu'à la hanche) peut prendre le relais si la situation l'exige.

Yang Wenhu, élève de Me Chen Zhaokui
Yang Wenhu, élève de Me Chen Zhaokui

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