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Manuel de Chen Ziming - 陳子明

Le généreux et talentueux Paul Brennan a récemment traduit en anglais un fameux manuel publié en 1932 par Chen Ziming (陳子明), un disciple du célèbre Chen Xin (陳鑫). Bien qu'il appartienne au courant de la petite forme (小架), les informations compilées dans cet ouvrage ne manqueront pas d'intéresser l'ensemble des pratiquants du style Chen et au-delà.

 

Ce manuel contient d'abord des préfaces qui dévoilent notamment le parcours de l'auteur (enseignant à Shanghaï dans les années 30), des biographies de maîtres du clan Chen depuis Chen Wangting, des explications détaillées sur les principes du style Chen, une description de l'enchaînement de la "petite forme" illustré par des photographies, des explications techniques et tactiques sur la poussée des mains, et un texte de Tang Hao sur les origines du taijiquan.

 

La première partie du manuel de Chen Ziming insiste sur la prééminence de l'esprit. Le pratiquant doit aborder son art en étant pleinement présent, avec respect, quiétude, sérieux, rigueur, détermination, persévérance, concentration, tout en étant attentif à ses sensations. Ses mouvements doivent refléter la profondeur de son âme, susciter l'admiration, inspirer les poètes.


L'auteur poursuit son traité en exposant l'art du changement entre le yin et le yang, l'ouverture et la fermeture, le plein et le vide, le ferme et le souple, le rapide et le lent, etc. Le lecteur occidental doit réaliser que le changement est un trait caractéristique de la pensée chinoise (notamment taoïste). Rien n'est figé, tout se transforme tout le temps. Le taijiquan en est une parfaite illustration.

 

A plusieurs reprises, le manuel de Chen Ziming fournit aussi des indications sur les différentes étapes dans l'apprentissage. Ainsi, le pratiquant doit d'abord mettre l'accent sur la lenteur et la souplesse (notamment pour assouplir les tendons et délier les articulations). Ensuite vient l'étape où le pratiquant doit pratiquer plus rapidement et plus fermement (en alignant ses os et en renforçant sa structure). Finalement, le pratiquant doit savoir combiner lenteur et rapidité, souplesse et fermeté. A titre personnel, j'ai souvent observé deux écueils. Le premier est l'absence de confiance en une méthode qui prône la détente et qui entraîne inévitablement une diminution temporaire de l'efficacité martiale. Le second consiste à demeurer à la première étape sans jamais incorporer rapidité et fermeté, ce qui conduit souvent à la mollesse et à la stagnation du souffle vital. Chen Ziming a donc raison d'insister sur ce processus en trois étapes, qui permet d'aboutir à un équilibre dynamique conforme à la notion de taiji issue de la pensée chinoise.

 

Je passerai ensuite rapidement sur la description détaillée de l'enchaînement, mais certains changements de noms ne manqueront pas d'intéresser ceux qui étudient la langue chinoise. À titre d'exemple figure dans la liste le mouvement intitulé 雲手(今名運手). Autrement dit, les "mains nuages (aujourd'hui nommé mouvoir les mains)". Les écoles modernes mélangent parfois ces deux appellations en le nommant "mouvoir les mains comme les nuages". En fait, les deux noms cités par Chen Ziming se prononcent de la même façon à l'exception de l'intonation. On voit donc là le danger de surinterpréter le sens de ces noms. Ceux-ci sont issus d'une transmission orale et ont parfois été altérés avec le temps.

 

La dernière partie du manuel de Chen Ziming traite de la poussée des mains. D'ailleurs, l'auteur précise que 推手 est le terme popularisé par la famille Yang. Le clan Chen lui préférait les termes 擖手 (les mains qui grattent) ou 耍手 (les mains qui jouent). Il décrit d'abord les quatre portes, la dernière étant 捺(nà) et non 按 (àn). Chen Ziming passe ensuite en revue les qualités à rechercher et les écueils à éviter, sans oublier de rappeler que la maîtrise de l'enchaînement est un pré-requis avant d'aborder le travail avec un partenaire. À ce sujet, il emploie une image très parlante en comparant cette erreur à un enfant qui apprendrait à marcher avant de savoir se tenir debout, multipliant ainsi les chutes. Les quatre photographies qui illustrent cette partie nous révèlent aussi un détail intéressant. Les deux partenaires se tiennent à chaque fois dans la configuration 順步, où les jambes qui se croisent s'opposent (droite et gauche). C'est le mode opératoire encore privilégié aujourd'hui au sein du style Chen. Il permet notamment un déplacement d'avant en arrière sur un pas et regorge d'applications martiales.

 

Pour conclure, intéressons nous à ce qui est absent du manuel de Chen Ziming. Aucune application martiale n'est par exemple décrite. On peut avancer l'idée qu'un tel savoir devait demeurer confidentiel et non diffusé publiquement. Mais il faut aussi replacer cet ouvrage dans son contexte historique. Durant la période républicaine, l'objectif était surtout de renforcer la santé de la population civile (cf. le mouvement guoshu). Beaucoup de manuels d'arts martiaux ont ainsi été publiés en incluant des enchaînements traditionnels destinés à améliorer la vitalité du peuple chinois. J'observe également que, peut-être pour la même raison, les explications anatomiques et énergétiques sont assez grossières, ou en tout cas moins sophistiquées que celles qui fleurissent aujourd'hui dans les livres d'arts martiaux (et on aurait raison de s'en réjouir). Pour prendre un exemple, Chen Ziming donne constamment les mêmes indications au fil de l'enchaînement : 背勿弓胸勿現束肋塌腰周身包合. Autrement dit: "le dos ne se cambre pas, la poitrine ne sort pas, serrer les côtes, affaisser la taille, tout le corps est uni." Tout est dit !

 

Référence : traduction du manuel en anglais par Paul Brennan

Manuel de tai-chi de Chen Ziming

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